Pourquoi Trump fait peur | Ces idées qui gouvernent le monde

Générique -Bienvenue dans “Ces idées qui gouvernent le monde”. Pourquoi Trump fait peur ? Donald Trump a perdu les élections de 2020 qui ont vu la victoire incontestable de Joe Biden.

L’ancien président considère qu’on lui a volé cette victoire et il a encouragé le comportement séditieux de ses supporters républicains partis à l’assaut violent du Capitole un certain 6 janvier 2021.

C’est cet homme, qualifié par nombre d’observateurs de narcissique pathologique, vindicatif, complotiste, dictateur, et dont le bilan politique à la présidence des Etats-Unis de 2017 à 2020 a ajouté au désordre du monde,

c’est lui qui s’apprête, selon ses propres termes, à prendre sa revanche électorale. C’est cet homme inculpé pour des affaires sexuelles, des fraudes fiscales, des détournements de documents classifiés et autres chefs d’inculpation,

qui se présente aux élections présidentielles du 4 novembre 2024 avec un pronostic favorable en vue de l’emporter sur le président sortant Joe Biden. Malgré ses turpitudes, Donald Trump garde le soutien massif du Parti républicain

et aussi la sympathie d’une large fraction de la société américaine, plus polarisée que jamais. Nous allons chercher à comprendre cette fascination/répulsion qu’il exerce à la fois sur les Américains comme ailleurs dans le monde,

les menaces qu’il représenterait éventuellement pour l’Europe s’il était élu en novembre prochain et à quoi ressemblerait un monde agité par les fantasmes trumpistes, l’autoritarisme des régimes russe et chinois et le djihadisme ambiant.

Pour en comprendre les enjeux et les ressorts, je vous présente mes invités. Sylvie Bermann, vous êtes ambassadeur de France, vous l’avez été à la fois à Moscou et à Pékin. Roger Cohen,

vous êtes correspondant du New York Times à Paris, Armand Laferrère, vous êtes industriel en poste aux Etats-Unis. André Kaspi, vous êtes historien et professeur des universités.

Vous venez de voir la citation de Donald Trump : “Il faut jouer sur les fantasmes de son auditoire.” On peut dire trivialement que Donald Trump ne trompe pas sur sa propre marchandise politique,

justifiant ses propres excès et ses mensonges. Comment vous expliquez, Roger Cohen, qu’il ait réussi à trumpiser le Parti républicain ? -Je pense qu’on vit dans une époque de politique des émotions,

de politique de la distraction. Trump, c’est vraiment le maître de ce jeu-là. Il a gardé une popularité étonnante, étant donné le nombre d’inculpations et d’autres critiques qu’il a subies. Mais il incarne une Amérique,

surtout une Amérique blanche, qui est très inquiète. Il y a 8 millions d’immigrés, la plupart des immigrés illégaux, qui sont rentrés aux Etats-Unis depuis le début de la présidence Biden, et ça fait en sorte

que la population blanche des Etats-Unis voie l’Amérique changer de couleur. Trump incarne la détermination de cette partie de la population à résister. Il y a aussi, bien sûr, des facteurs économiques.

Le Parti républicain voit bien qu’il n’y a pas d’alternative. -Si on voulait prendre une figure de rhétorique, je sais que ça peut choquer, à propos de Donald Trump, et si on prenait ce fameux raisonnement de l’oeuf

et la poule, est-ce qu’à votre avis, Trump est la cause de l’incivilité ambiante de la société américaine ou est-ce qu’il est le produit populiste de son époque ? Par exemple,

qu’en pensez-vous, Sylvie Bermann ? -Je crois qu’il est le produit populiste de son époque, car c’est une évolution qu’on a connue ailleurs, même si ça n’a évidemment pas les mêmes conséquences stratégiques

que celles de l’élection du président américain. Moi, j’étais en poste, j’étais ambassadeur au Royaume-Uni quand Trump a été élu. Quelques mois auparavant, il y a eu le Brexit, qui a été un phénomène populiste.

D’ailleurs, c’est Boris Johnson qui l’a emporté et qui a été appelé le mini-Trump. L’évolution du Parti républicain vers une droite extrême est la même que celle du parti tory.

Le Brexit a été la première vraie crise d’une démocratie représentative. J’ai été moins étonnée, j’ai été étonnée par le Brexit, auquel on ne croyait pas, j’étais moins étonnée par l’élection de Trump.

J’étais à l’ambassade américaine ce jour-là. -André Kaspi, vous qui êtes historien, vous pensez qu’il a trumpisé l’Amérique ou que l’Amérique a produit… -Je crois qu’il faut d’abord

souligner que malgré tout, Trump a un certain talent. Il ne serait pas arrivé là où il est s’il n’avait pas le talent d’un populiste et en même temps, d’un homme qui sait manier les médias.

Il a en face de lui un président qui a des faiblesses, qui a des qualités, d’ailleurs, car il ne faut pas sous-estimer les réussites du président Biden, il y a des réussites économiques. -On va en parler.

-Il est évident que Donald Trump sait exploiter la colère d’un certain nombre d’Américains, aujourd’hui, d’une majorité des Américains. Il sait l’exploiter et il le fait avec beaucoup de détermination.

Et puis, il a cet avantage qu’il ne cesse pas de dire que Joe Biden est trop vieux, que Joe Biden est trop faible, que Joe Biden n’est pas capable d’exercer la présidence,

mais chacun sait qu’entre l’âge de Joe Biden et l’âge de Trump, il n’y a jamais que 4 ans de différence. Au fond, on est toujours dans la bataille des octogénaires.

Ca signifie malgré tout qu’il ne faut pas, je crois, sous-estimer le talent de Trump dans une Amérique profondément divisée, divisée sur le plan économique, divisée sur le plan social. -Culturel. -Pardon ?

-Culturel. -Bien sûr. Pas vraiment sur le plan international… -On va aborder, si vous le voulez bien, toutes ces questions. Armand Laferrère, vous êtes actuellement aux Etats-Unis pour représenter une grande entreprise.

A votre avis, dans vos contacts quotidiens, vous constatez que cette Amérique trumpisée, elle a un sens, en quelque sorte… Roger Cohen parle de cet aspect culturel, mais vous sentez qu’une partie de l’Amérique adhère

à ces idées-là ? -Oui. Comme toujours, l’Amérique est un pays à 50-50 et selon les cycles électoraux, les 50 deviennent 52 ou 48.

Je suis d’accord avec la plus grande partie de ce qui a été dit avec un détail par rapport à ce qu’a dit Roger. Trump, en 2016, et ce sera probablement

le cas de nouveau s’il est élu en 2024, a obtenu plus de voix non blanches que tout autre Républicain, donc cette interprétation-là me paraît peu satisfaisante. Je suis d’accord avec le reste, mais… -Vous en tirez

quelle conséquence ? Les minorités préfèrent un pouvoir fort ? -J’en tire pour conséquence que la classe qui fait la différence et pourrait se porter vers Trump comme elle s’est portée contre lui, c’est la partie de l’Amérique

où les différences raciales ont peu d’importance. C’est ce qu’on appelle la “lower middle class”, les gens qui travaillent, mais qui gagnent peu d’argent, qui sont dans les endroits pas très centraux.

Dans ces milieux-là, les différences raciales ont moins d’importance. L’important pour moi, ce n’est pas tellement Trump, c’est pourquoi l’électorat se penche vers lui. Il y a des critères dans les sondages.

“A qui faites-vous confiance pour garder “la frontière ?” Il passe clairement devant. “Et pour défendre les intérêts américains à l’étranger ?” “Et pour l’économie ?” Il est repassé devant Biden, alors qu’il était derrière.

Il faut toujours, en démocratie, se demander ce que pensent les électeurs. -Justement, sur ce point-là, Roger Cohen, une politologue française, Blandine Barret-Kriegel, a écrit il y a quelques années

un ouvrage pour dire que les minorités étaient mieux défendues par des pouvoirs forts démocratiques. Avez-vous ce sentiment que ces minorités qui votent pour lui considèrent qu’il les protègera mieux ? C’est un paradoxe.

-C’est vrai que la minorité noire, aux Etats-Unis, il y a des sondages qui indiquent, alors qu’ils ont beaucoup soutenu le président Biden il y a 4 ans, que 20 % en moins va soutenir Biden cette fois-ci,

surtout pour des raisons économiques, ils ne voient pas de changement. Il y a beaucoup de soutien aussi, et ça augmente, de la partie hispanique des Etats-Unis pour Trump. Je pense que cette question d’âge des candidats,

Trump a quand même, je crois, 77 ans, mais c’est intéressant que l’âge combiné du président Macron et du Premier ministre Attal, les deux ensemble font encore moins que l’âge de Joe Biden,

alors quelque chose ne va pas. Je veux dire, un des problèmes principaux avec cette élection… -Roger Cohen… -C’est une gérontocratie. C’est une espèce de kremlinisation des Etats-Unis. -Une précision, Roger.

On dit dans la presse française et la presse européenne que Trump est mieux portant que Biden et que Biden, aujourd’hui, aurait des pertes de mémoire, des moments difficiles. -Ca, c’est certain.

-Donc, vous… -Il a parlé deux fois du fait qu’il est venu, il a été élu, à l’époque du président Mitterrand en Allemagne. Deux fois, il l’a dit.

Or, à ma connaissance, Mitterrand n’a pas présidé l’Allemagne. Il essayait de parler du président Macron. Les deux commencent avec la lettre “M”, mais à part ça, c’est grave quand, deux fois, il y a des trous de mémoire.

Ceci dit, le président Biden a eu une présidence, je dirais… Il a tenu le coup. C’était un moment difficile, l’économie tient, l’Afghanistan, ce n’était pas très bien mené, mais… -N’allons pas trop vite. -Il n’est pas…

Un peu comme le président Macron, il n’est pas trop reconnu pour les choses qu’il a réussi à faire. -Bon, écoutez, on va rester sur Trump, là. Sylvie Bermann, il exerce incontestablement un effet de fascination/répulsion,

que ce soit dans le monde politique, que ce soit dans les médias, que ce soit aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde. Si on voulait utiliser une figure psychologique, on peut dire qu’il arrive

à immuniser ses auditoires en les accoutumant à ses fanfaronnades. Comment vous qualifieriez cette attitude ? Est-ce que c’est du fascisme soft, est-ce que c’est l’art maladif à faire le buzz,

est-ce que c’est un comportement de dictateur ? Il faut en parler. -Je crois que c’est surtout l’émanation des réseaux sociaux, c’est-à-dire davantage de violence, le mensonge. Aux Etats-Unis, Clinton l’a connu, le mensonge était le pire péché.

Aujourd’hui, il suffit de dire un mensonge encore plus gros. Donc, il y a ce côté fascinant du bateleur, aussi. C’est quelqu’un de disruptif, bien évidemment, et il a… On parlait de l’âge, tout à l’heure.

La différence, c’est ce qu’on appelle la “stamina”, c’est-à-dire l’espèce d’énergie que n’a pas Biden et que lui a toujours, incontestablement. Tout le monde est fasciné. Avant son élection, il fait rire, on y croit pas,

et puis, c’est déjà arrivé, ça peut arriver une deuxième fois. On ne se prépare peut-être pas suffisamment aux conséquences… -On va en parler. Comment vous qualifieriez son comportement politique ? -Trump, c’est par définition

le démagogue même. Il me rappelle, d’une certaine façon, un sénateur qu’on a peut-être oublié en France qui s’appelle McCarthy. Au fond, McCarthy savait manier les médias. Ca n’a pas duré longtemps,

mais ça a fait beaucoup de dégâts aux Etats-Unis. McCarthy n’était pas candidat à la présidence, mais en revanche, il a quand même exercé sur la société américaine une très forte influence.

Trump, ne l’oubliez pas, en 2016, il n’a pas remporté les élections d’une manière spectaculaire, il avait moins de voix qu’Hilary Clinton. Il se trouve que dans le système américain,

ça ne l’a pas défavorisé, bien au contraire. Au fond, Trump, ça n’est pas la majorité des Américains. Je crois simplement que l’Amérique étant profondément divisée, il représente une certaine Amérique,

et il a en face de lui une autre Amérique qui est plutôt, elle, fractionnée. Regardez ce qui se passe au sein du Parti démocrate. Il y a une aile gauche, il y a un centre,

c’est-à-dire qu’en fait, il n’y a pas véritablement une unanimité derrière Joe Biden. Joe Biden est fortement critiqué au sein même de son parti, ce qui veut dire qu’il y a une fracturation

très profonde de la société américaine dont Trump profite. -A votre avis, Armand Laferrère, excusez-moi, mais je vous mets cette casquette d’ancien élève de l’ENS pour avoir votre avis…

-J’ai dû lire beaucoup de Kaspi pour y entrer. -Oui… -Vous n’êtes pas énarque ? -Non… Il est aussi énarque, voilà, bon ! Voilà, bon. -Inévitablement. -Concernant… Concernant Donald Trump, bon…

Vous arrivez à le mettre dans quelle catégorie ? On a dit qu’il était démagogue, on a dit que c’était… Est-ce que vous pensez que, finalement, il exprime la quintessence des mauvais sentiments, l’irrationnel ?

Pour paraphraser Raymond Aron, que vous connaissez, Raymond Aron dit que dans une société, quand la droite et la gauche ne sont plus aimées du peuple, pas représentatives, il y a un phénomène de bonapartisme.

Il y a un outsider qui sort. Il est sorti comme ça, comme un outsider, un méchant démon, de la société américaine, ou est-il vraiment le produit de cette société américaine ? Il la représente véritablement ?

-Il ne représente pas toute la société, Biden non plus, mais il représente une partie de la société américaine, c’est bien pour ça qu’il est haut dans les sondages, qui n’est pas définie…

qui, au fond, est la partie de la société qui s’est estimée perdante ces dernières décennies. Il a vraiment la majorité dans les “swing states”, dans les Etats qui peuvent passer de l’un à l’autre,

où il y a beaucoup de gens qui sont soit de l’industrie en déclin, soit des petites villes un peu isolées, et dans ces milieux-là, on peut voter démocrate comme républicain, et en ce moment,

on vote beaucoup Trump avec l’idée qu’on sera mieux représentés parmi les élites à Washington qu’on ne l’est sous l’actuel président. C’est ça, le phénomène. A part ça, il a une habileté de communication considérable.

-Roger Cohen, par rapport à ça ? -Je ne sais pas exactement quelle étiquette mettre à Trump, mais ce qui est sûr, c’est que celui qui ne voit pas que Donald Trump est un danger,

un vrai danger pour la démocratie américaine, est aveugle, parce qu’en fait, il y a eu une élection en 2020 que Joe Biden a gagnée. Or, Donald Trump l’a reniée, et non seulement

il l’a reniée, mais il a organisé, encouragé, un assaut du Capitole à Washington le 6 janvier 2021. On peut supposer qu’il a déjà un assez gros ego qui joue là-dedans, et cet ego, s’il était réélu,

je pense que la possibilité qu’il ne quitterait plus son poste de président, s’il est élu, et moi, je n’y crois pas encore pour le moment, mais s’il est réélu, la possibilité qu’il ne quitterait pas son siège…

-Mais cette majorité républicaine qui vote pour lui… -C’est pas tout le pays. -Non, mais il a la majorité républicaine avec lui. -Il va avoir la nomination, c’est sûr. -Oui. Vous la qualifierez de crypto-fasciste,

de réactionnaire ? -Non. -Mais alors… -Nos sociétés ont changé, Emile. Les partis politiques ont moins d’importance. On le voit en France, en Allemagne, partout. Tout le monde…

Et Gabriel Attal l’a compris, il faut être présent sur les “social medias”, les réseaux sociaux. On va directement au peuple. Et donc, les partis sont moins importants. Les républicains s’alignent sur Trump,

parce que Trump a hypnotisé une partie importante de la société américaine. Je pense qu’il reflète les changements profonds dans nos sociétés. Il faut comprendre que le jeu a changé, le jeu politique,

moi, à mon avis… -A votre avis. Sylvie Bermann, vous qui êtes une diplomate chevronnée, vous avez rappelé que vous étiez en Grande-Bretagne, mais vous avez été aussi

dans ces régimes autoritaires que sont la Russie et la Chine. Il y a une désillusion dans les pays que nous habitons, les pays démocratiques, à l’égard de la politique et même de la démocratie.

L’Occident est attaqué au sein même des démocraties occidentales. La course aux complotismes, que l’on voit sur les réseaux sociaux, aux conspirationnismes, aux nationalismes, etc., elle n’est pas que le fait de Trump :

l’ancien président du Brésil, Bolsonaro, l’actuel président d’Argentine, Milei, on a vu Boris Johnson… C’est quoi, cette émulation ? Comment vous la ressentez ? -Encore une fois, je crois que c’est les réseaux sociaux

qui ont beaucoup changé nos sociétés. Vous aviez, avant, une forme de verticalité qui supposait qu’on respectait l’expertise, qu’on respectait les compétences, qu’on respectait également les élus.

Ce n’est plus du tout le cas. Il y a maintenant une forme d’horizontalité, où chacun pense que son opinion est aussi valable, sinon plus valable, que celle d’un prix Nobel ou d’un élu.

-Mais alors, ça veut dire que c’est une régression. Ce qu’on observe aujourd’hui, ça a été observé par Hannah Arendt, ça a été observé par Raymond Aron, par Sigmund Freud, à savoir,

à savoir que les peuples sont guidés par l’émotion et par l’irrationnel plus que par la raison. Ca veut dire qu’on régresse à ce niveau-là ? On va pas faire croire

que c’est la technologie qui nous fait régresser. -La technologie offre la parole à tout le monde, au même niveau qu’à celui d’un président de la République, qui se fait constamment insulter,

ou d’un prix Nobel. C’est ça qui a changé. La technologie, c’est une ouverture fantastique et une possibilité d’élargir ses connaissances, mais c’est aussi, malheureusement, la possibilité d’avoir des appels à la haine,

des insultes, et ça, on le retrouve. Effectivement, on a créé la vérification des faits, le fact-checking, mais ça ne fonctionne pas : les complotistes ont raison de penser ce qu’ils pensent

parce qu’ils sont pas tout seuls. Avant, ils le faisaient au café. Maintenant, ils le font… -La question peut déranger, mais il faut le dire. Est-ce que vous pensez qu’en France,

des partis politiques incarnent ce conspirationnisme ? -Ecoutez… -Parce qu’on a eu des scènes à l’Assemblée nationale qui sont pas très démocratiques. -Non, tout à fait. Vous avez effectivement des violences,

du non-respect de l’autre qui n’existaient pas auparavant. Quand on appelle à décapiter le président de la République, c’est un problème. -André Kaspi, comment expliquer ce trumpisme international ? Il est pas seul.

-Attendez, je veux quand même préciser que, à l’Assemblée nationale ou, avant, dans ce qui était l’équivalent de l’Assemblée nationale, il y a toujours eu des bagarres, ça n’a jamais été le calme absolu. Rappelez-vous les échanges

entre Clemenceau et les autres, ça date des débuts du 20e siècle. Autrement dit, je pense… -C’est pas un regret ? C’est pas un regret… -Aucun changement fondamental de ce point de vue-là.

Ce qui me semble évident, c’est que, aujourd’hui, les réseaux sociaux tiennent une place capitale. Regardez l’importance d’Elon Musk. Elon Musk, qui est l’homme le plus riche du monde, comme chacun sait,

qui peut dire tout et n’importe quoi et revenir sur ce qu’il a dit. Tout ça montre que c’est un homme remarquable, parce que, je sais pas si vous conduisez une Tesla… -Non, je n’ai pas de Tesla.

-Je ne sais pas si vous montez dans le SpaceX. -Pas encore. C’est trop cher pour moi. -Ca viendra peut-être. Tout cela, ce sont des inventions d’Elon Musk.

Il y a une transformation de la société, et cette transformation de la société se fait aussi par l’intermédiaire… -Mais le trumpisme, c’est pas le cache-sexe du populisme qui est partout dans la planète.

-Dans un certain sens, oui, mais d’un autre côté, il y a quand même des caractéristiques profondément américaines. Au fond, est-ce que Trump pourrait agir de la même façon en France,

en Belgique ou aux Etats-Unis ? Je n’en suis pas sûr. Je crois que c’est quelque chose de profondément ancré dans la société américaine et que l’on ne retrouve pas encore ou pas du tout

dans les sociétés occidentales. -Vous n’avez pas l’air d’accord, Armand Laferrère. -Si, je suis assez d’accord. Ce avec quoi je ne suis pas d’accord, c’est avec l’idée qu’on serait

face à un immense cataclysme qui va débouler. Il y a un phénomène Trump qui prend une grande partie, pas tout, du parti républicain et qui réussira probablement à obtenir les voix

des sceptiques du clan républicain. A la fin, il y a des électeurs qui disent : “Ecoutez, on a deux choix.” Ils choisissent celui qui leur paraît le moins mauvais,

comme toujours. Je ne crois pas à ce qu’a dit Roger sur le fait qu’il pourrait rester au pouvoir : il sera entouré de gens, dans les armées, dont la moitié n’auront pas voté pour lui.

Les institutions ne l’accompagneraient pas, même si la tentation, en effet, pourrait lui venir. Je crois que le risque pour les institutions est zéro, le risque pour la société n’est pas zéro,

parce qu’il y a une rhétorique qui est déplaisante, des choses pas plaisantes, mais je crois aussi qu’à la fin, les électeurs ont un choix et ils prennent celui qui leur paraît le moins mauvais.

Quand on dit “les électeurs”, c’est 51-52 % des électeurs, ou 48 %. On peut gagner avec 48 % des voix. Ca ne change pas… -Même parfois moins. -Ca ne change pas

ce qu’est la société américaine, où les deux partis s’équilibrent. -Dire d’un président américain qui téléphone au secrétaire d’Etat de l’Etat de Géorgie et dit : “Trouvez-moi 20 000 votes, c’est rien du tout”,

dire de cet homme qu’il n’y a aucun danger qu’il reste au pouvoir, je trouve que, à mon avis, c’est naïf. Je suis d’accord que la démocratie américaine

a survécu une fois à Trump et que les institutions sont fortes, mais nier que cet homme soit dangereux me semble ne pas regarder les faits. Il y a beaucoup de faits. Le 6 janvier a eu lieu,

et si Mike Pence n’avait pas tenu une certaine ligne, on ne sait pas… Il y a des façons de rester au pouvoir. -Si vous citez l’appel de Trump au secrétaire d’Etat de la Géorgie,

le secrétaire d’Etat n’a pas voulu le faire. Autrement dit, il y a une résistance. Il y a une tentation qui est manifestée par Trump, mais il y a encore des contre-pouvoirs,

heureusement, qui l’empêchent d’aller… -Juste un détail sur ce secrétaire d’Etat. Moi, j’étais à Moscou. Moscou a publié une liste des 400 noms, au mois de mai, l’année passée,

de gens qui n’ont plus le droit d’entrer en Russie, parmi lesquels le secrétaire d’Etat de la Géorgie. On comprend bien à quoi le président Poutine s’attend, c’est-à-dire la ré-élection de Trump.

Il fera tout pour que ça ait lieu. -Donald Trump ne porte pas l’Europe dans son coeur. S’il est élu, est-ce qu’on doit s’attendre à un durcissement des relations commerciales

entre l’Europe et les Etats-Unis ? Certains vont jusqu’à dire la fin de l’axe euro-atlantique. Alors, Sylvie Bermann ? -Trump avait déclaré, à un moment, que les Européens étaient pires que la Chine

et que quand il en aurait fini avec la Chine, il s’en prendrait aux Européens. Il y a des risques sur le plan économique, parce qu’il considère que les Européens sont des concurrents.

Par ailleurs, il considère aussi que les Européens profitent de l’Amérique, en particulier dans le cadre de l’OTAN… -On abordera ça. -Ca fait partie de son attitude vis-à-vis des Européens.

Bien évidemment qu’il y aura des conséquences. Les Européens devraient d’ailleurs davantage s’y préparer. Ca peut aussi, d’une certaine forme, si on considère les avantages, être une seconde chance pour l’Europe

pour qu’elle s’affirme davantage, pour qu’elle développe… -Puissance, ce n’est pas le cas. Est-ce que vous diriez que Trump, dans sa machinerie psychique, est europhobe ? Il a quand même des origines allemandes et…

Roger Cohen rit. -Je pense pas que ça joue beaucoup. -Oui mais… -D’ailleurs, il l’a nié. -La plupart des Américains ont des origines non américaines, mais bon… -Est-ce que vous diriez qu’il est europhobe ?

-Je dirais que l’Europe, pour lui, ce n’est évidemment pas une priorité, et en tout cas, c’est un fardeau, c’est-à-dire un fardeau dont les Etats-Unis devraient se débarrasser le plus rapidement possible.

D’abord, il estime que la véritable difficulté pour les Américains, c’est de s’opposer à la Chine et, peut-être pour s’opposer à la Chine, de s’entendre avec Poutine. Au fond, il y a tout un arrangement diplomatique

que Trump semble esquisser. Mais je ne suis pas non plus dans la cervelle de M. Trump. D’après ce que l’on entend, ça voudrait que, pour lui, les Européens doivent se débrouiller tout seuls

et pas dépendre des Etats-Unis. -Il vomirait l’Europe car il est contre les Lumières, la Renaissance ? A votre avis ? Armand ? -Le sujet, c’est que ça coûte cher de défendre l’Europe

et que c’est un concurrent commercial. Il voudrait que ça coûte moins cher, que l’Europe dépense plus pour sa propre défense… -On va rentrer là-dedans, mais vous pensez pas qu’il y a chez lui quelqu’un d’anti-européen ?

-Non, je pense que c’est surtout une question économique. Il faut souligner une chose, c’est que la situation mondiale est très différente maintenant qu’en 2016. Si Donald Trump est ré-élu, il y aura, il affrontera deux guerres,

une guerre en Europe, une guerre en Ukraine, qui va durer, à mon avis, longtemps, et une guerre au Moyen-Orient. Avoir un président irresponsable à un moment où il n’y a pas de guerre est différent d’avoir

un président américain… Si l’aide américaine à l’Ukraine cesse, qu’est-ce que les Européens et l’Ukraine vont faire ? -Vous parlez de la guerre en Ukraine et de la guerre en Israël et Gaza. Diriez-vous que,

au regard de l’extension possible de ces guerres, que ce sont des guerres de civilisation ? Elles vont bien au-delà du terrain où elles s’exercent, puisqu’elles remettent en cause et l’Occident et l’avenir du monde.

-Certainement, la guerre en Ukraine, pour Vladimir Poutine, c’est une question, c’est une guerre impérialiste. Maintenant, il a une idéologie, disons, de nation, de famille, de religion, et il fait un portrait,

en dépit du fait que, quand j’étais en Russie, je n’ai rencontré que des femmes divorcées avec de jeunes enfants, et tout ça, c’est… Il fait le portrait d’une Europe complètement décadente.

Il y a, dans un sens, une espèce, comme vous le dites, de guerre de civilisation, même si ce portrait est fondamentalement assez faux, à mon avis. Mais les partis de droite, en Europe,

ils aiment bien Poutine pour ça. Dire que la guerre actuelle entre Israël et Gaza, entre Israël et Palestiniens, est une guerre de civilisation, non. -Et pas une guerre contre le terrorisme ?

-Oui, une guerre contre… Il y a une guerre contre le Hamas, mais est-ce que c’est une guerre de civilisation ? Je ne qualifierais pas le Hamas de civilisation. -C’est l’anti-civilisation. -Si vous voulez, c’est l’anti-civilisation.

Ce qu’il y a, c’est que la… Les Palestiniens, maintenant, dans l’optique culturelle actuelle et aux Etats-Unis, sont vus et perçus d’une autre manière, c’est-à-dire faisant partie des “indigènes”

du monde, des “gens qui ont souffert”, qui n’ont pas suffisamment de justice sociale. C’est englobé par la partie de gauche du parti démocrate, aux Etats-Unis. Ca fait plus une guerre généralisée

dans ce sens-là, mais non, c’est une guerre… Il y a les Israéliens, les Palestiniens, un petit morceau de terre. Ou il y a un compromis sur deux Etats, ou ça continue. -Oui, allez-y.

-Je voulais ajouter que c’est quand même Trump qui a réussi à mettre en place les accords d’Abraham. C’est quand même quelque chose d’extraordinaire. -Oui, c’était très important, mais ça mettait de côté le coeur du conflit.

Le coeur du conflit, c’est ce que je viens de dire. -Aujourd’hui, par exemple, Joe Biden essaie, dans la mesure du possible et par l’intermédiaire d’Arthur Blinken… D’Antony Blinken, pardon. Il essaie de faire entrer

dans le jeu l’Arabie saoudite. Au fond, on retrouve un élément de la politique de Donald Trump. -Mais pendant 3 ans, l’administration Biden n’a pas parlé une fois de l’importance d’avoir deux Etats.

C’est une espèce de… “Ah oui, les Palestiniens…” -C’est une redécouverte. -Revenons là-dessus. Armand Laferrère, conflit en Ukraine, guerre pour l’Europe, conflit au Proche-Orient avec des extensions, puisque les extensions sont là,

sont concernés l’Iran, la Syrie, le Yémen, une éventuelle réconciliation entre Israël et l’Arabie saoudite… Est-ce que, à votre avis… Que fera Trump par rapport à ces guerres-là

et à ce qu’elles impliquent en termes de civilisation ? -Il faut distinguer l’Ukraine du Moyen-Orient. En Ukraine, il a commencé à dire ce qu’il voulait : il veut que ça s’arrête, il veut trouver un compromis.

On peut pas forcer les 2 parties à un compromis, puisqu’elles ont envie de s’entre-tuer, mais créer de fortes incitations, au fond, à un système dont on sent comment ça se dirige, un système où l’Ukraine reçoit

des garanties de sécurité et renonce à la partie occupée. -Toute la partie occupée, Donbass compris ? -Semble-t-il. Je suis pas non plus dans la tête de Trump. Il dit qu’il veut

un compromis rapide. Ca pourrait être ça. -Vous pensez qu’il arrêtera les livraisons d’armes ? -Je pense pas, mais il fera pression en les diminuant pour que Zelensky…

Il trouvera un moyen de pression sur Poutine. Ca marchera ou pas. Quand on a envie de faire la guerre, c’est pas le président des Etats-Unis qui peut l’empêcher.

Au Moyen-Orient, on peut penser qu’il sera dans la continuité de ce qu’il a déjà fait. La question de l’Ukraine se posait pas, mais au Moyen-Orient, c’est l’idée d’encourager

ce qu’Israël et les Arabes veulent depuis longtemps : de se mettre d’accord sur le dos des Iraniens. Ca semble être tout à fait son objectif. -Et si nécessaire, en faisant la guerre contre l’Iran ?

-Alors ça… Un jour, il faudra peut-être arrêter la loi incompréhensible selon laquelle l’Iran a le droit de tirer sur qui il veut mais pas l’inverse. Ca existe depuis 40 ans, je n’ai jamais compris ça.

On peut juste tirer sur les annexes de l’Iran, mais l’Iran a toute liberté pour tuer qui il veut. Peut-être qu’à cette occasion, ça se fera, ou ce sera plus tard. Mais peu importe,

je peux pas savoir. L’idée fondamentale des accords d’Abraham est : il y a des intérêts communs entre les Arabes et les Israéliens pour la stabilisation de la région contre une puissance chaotique,

qui veut créer le chaos, qui est l’Iran. Il n’y a de raison que ce soit différent s’il y avait une 2e administration Trump. -Sylvie Bermann, sur les 2 conflits, l’Ukraine et le Moyen-Orient,

quelle serait la position de Trump ? -Oui, je suis assez d’accord. Sur l’Ukraine, il l’a annoncé en disant qu’il réglerait le problème en 24 heures. -Ce qui est faux, évidemment.

-En 24 heures, non, mais il sait très bien ce qu’il peut faire, parce que je pense que Poutine, à un moment donné, sera prêt à arrêter la guerre à condition qu’il garde des territoires.

Quant à l’Ukraine, elle est en train de perdre, dans la mesure où elle n’a pas suffisamment d’hommes, pas suffisamment de munitions. Là-dessus, Donald Trump peut faire un chantage, en disant : “J’arrête totalement. Votre intérêt,

“c’est d’avoir un accord.” La contrepartie… …de l’abandon de territoires serait évidemment des garanties absolues pour que la Russie ne puisse jamais recommencer, soit par adhésion à l’OTAN, avec une Ukraine dans nos frontières,

soit par une garantie des membres permanents, ou en tout cas d’un certain nombre de pays, dont les Etats-Unis. C’est pas du tout impossible, en réalité. D’ailleurs, même Zelensky

a dit, à un moment, à propos du Donbass : “On peut pas forcer les gens qui veulent pas de vous, “qui vivent, finalement, “comme les Russes, “à revenir dans l’Ukraine.”

Ce n’est pas impossible. Ce n’est pas aussi facile qu’il imagine, mais il a réussi pour les accords d’Abraham. Pour le Moyen-Orient, ce qui est difficile, c’est que vous avez, pour le moment,

des dirigeants, tous, qui ne sont pas prêts à un accord, qu’il s’agisse de Netanyahou, qu’il s’agisse du Hamas ou même du dirigeant de l’Autorité palestinienne. Les Américains ont déjà commencé à discuter.

C’est pour ça qu’Antony Blinken était à Paris et qu’il continue sa tournée. Trump évite à tout prix qu’il y ait des accords sous Biden. C’est la raison pour laquelle il a donné instruction

à ses partisans au Congrès de ne pas voter l’aide à l’Ukraine. Il y avait en même temps l’aide à Israël, et puis également des accords sur la frontière.

Il veut que ce soit lui qui engrange tout cela. -Je peux dire juste une chose ? -Je vous en prie. -Je ne suis pas d’accord, Sylvie. L’idée, pour moi, que Donald Trump pressionne Poutine,

dans tout ce qu’on a vu vers la paix, tout ce qu’on a vu pendant les premiers quatre ans, c’est que, probablement, il y a une espèce de kompromat de Poutine. Chaque fois que Poutine a parlé,

Donald Trump était d’accord. Il était d’accord, il n’a jamais confronté Poutine sur quoi que ce soit. Maintenant, au Moyen-Orient, l’idée est que ce conflit qui, quand même, dure depuis 75 ans,

qu’on pourrait l’arranger, peut-être, en mettant les Palestiniens et les Israéliens d’accord pour confronter l’Iran, non. -Pas les Palestiniens, les Arabes. C’est différent. -Il y a des Palestiniens dedans.

Si ça se fait, c’est entre Israéliens et Palestiniens. Il y a des autres gens. -Oui. -Oui, les Arabes. -André Kaspi ? Attendez, que chacun puisse s’exprimer.

André Kaspi. -On parlait de l’Iran. Non seulement il y a eu les accords d’Abraham sous Trump, mais c’est aussi Trump qui a décidé d’assassiner le général Soleimani.

C’est-à-dire qu’au fond, il y a eu une réaction à l’encontre de l’Iran. Il me semble que dans notre conversation, il manque un interlocuteur principal, c’est la Chine. C’est l’obsession de Trump.

L’obsession de Trump, c’est la Chine sur le plan commercial, bien sûr, mais c’est aussi la Chine sur le plan stratégique, avec les menaces qui pèsent éventuellement sur Taïwan.

C’est-à-dire qu’au fond, si Trump veut se débarrasser de l’Ukraine, c’est aussi car il pense à la Chine et qu’il considère, en somme, que la Chine doit être la priorité. -Oui,

mais André Kaspi… Est-ce qu’il n’y a pas une contradiction dans ce que vous dites ? Parce que si vous dites que Trump est d’accord, serait favorable à un accord en Ukraine en dépeçant l’Ukraine du Donbass,

à partir du moment où il encouragerait cette dimension impérialiste, en quelque sorte, de la Russie, ça encouragerait la Chine à envahir Taïwan et non pas le contraire. -Non mais attendez…

L’essentiel pour Trump, ce sont les relations économiques, commerciales, avec la Chine. -Taïwan joue là-dedans. -Au fond, le Donbass… J’espère pour lui qu’il sait où ça se trouve. -C’est plus que ça.

-J’espère qu’il sait où ça se trouve, mais ce n’est pas certain. En tout état de cause, il sait très bien où se trouve la Chine et il sait très bien les intérêts

que la Chine peut avoir soit en Asie, soit dans le reste du monde. -Taïwan est le premier producteur de semi-conducteurs. C’est un pays qui compte sur le plan économique. -Bien sûr. C’est pour ça

que Trump est attentif aux relations avec la Chine. -Qu’en pensez-vous ? -Je crois que la Chine, c’est plus qu’une préoccupation. C’est une obsession. D’ailleurs, à partir du moment… -Pour faire quoi ?

-Eviter que la Chine ne devienne la première puissance. On a parlé aux Etats-Unis du piège de Thucydide, où la puissance en place ne veut pas de l’émergence d’une nouvelle puissance.

C’est un peu cela. -Là-dessus, il y a une continuité. Obama, Biden, ils sont tous… Ils sont tous contre le fait que la Chine devienne la première puissance.

-C’est d’abord le Financial Times qui a dit que Trump avait lancé le coup d’envoi de la nouvelle guerre froide en décrétant un blocus technologique contre la Chine, qui a été repris, effectivement,

par son successeur, bien évidemment. C’est clair que c’est là que se situe le problème. Maintenant, les semi-conducteurs à Taïwan, les Etats-Unis ont ouvert une usine de TSMC, de semi-conducteurs. J’ajoute une chose.

Comme Donald Trump fait toujours des déclarations un peu intempestives, il a montré un jour à ses généraux le globe terrestre en disant : “Vous voyez où est la Chine,

“où est Taïwan et où on est ?” Il a ajouté : “On n’ira pas.” Il n’y a pas de garantie non plus pour les Taïwanais. -Vous semblez dire qu’une élection de Trump ne signifierait pas que ça favoriserait

un conflit entre la Chine continentale et Taïwan ? -La Chine a son propre tempo. Elle prendra ses décisions en fonction de ses intérêts. Bien sûr, s’il y a quelque chose qui est jugé comme provocateur,

ça risque d’inciter les Chinois à réagir, comme ça été un peu le cas pendant la visite de Nancy Pelosi, où ils ont fait, effectivement, un exercice en grandeur nature. En même temps, même Trump a évité,

à certains moments, qu’il y ait une escalade entre la Chine et les Etats-Unis, malgré ses déclarations qui peuvent être parfois incendiaires. -Armand Laferrère, on dit que Trump ne nourrit pas les meilleurs sentiments,

et c’est un euphémisme, à l’égard de l’Europe. En vous écoutant, si Trump est élu et qu’un accord, factice mais accord, se faisait sur l’Ukraine, qu’est-ce que l’Europe devrait changer ?

Est-ce que ça amènera une Europe puissante, d’autant plus, d’autant plus qu’on constate que pour les livraisons d’armes, l’Europe qui dit soutenir l’Ukraine n’arrive pas à livrer tous les armements nécessaires aux Ukrainiens pour se défendre ?

-C’est la grande question. -Vous croyez à cette Europe puissante ? -Sous Obama, l’Amérique a essayé de devenir un peu comme l’Europe et n’a pas vraiment réussi. Sous Trump, l’Europe devrait devenir un peu plus,

fabriquer plus d’armes, s’organiser mieux militairement. Y parviendrait-elle ? Je n’en sais rien. Les signaux ne sont pas très bons, mais ils ne sont pas très bons car on estime que le “sugar daddy” américain

va venir en dernier recours. Aucune idée, mais ça sera la question essentielle de l’hypothèse. -Roger Cohen, vous pensez que ça amènera l’Europe à devenir une Europe puissance, si Trump arrive à la Maison Blanche ?

-Une Europe puissance, non, mais je pense que l’Europe, ayant déjà eu l’expérience de Trump, sait que c’est important, comme dirait le président Macron, de développer un plus grand degré d’autonomie stratégique. Ceci dit, la guerre en Ukraine

a démontré que sans l’aide militaire des Etats-Unis, l’aide européenne a été importante, je ne veux pas dire le contraire, mais l’aide américaine était et reste décisive. Je dois dire que je pense qu’on parle d’un accord en Ukraine

avec une légèreté et un manque de sérieux qui me choque. Ayant passé un mois en Russie, l’année dernière, et auparavant un mois en Ukraine, l’idée que Zelensky, après les sacrifices, après les sacrifices ukrainiens, pourrait dire :

“Oui, bon, OK, vous prenez “tout ce que vous avez pris, on se met d’accord, “et l’Ukraine va rentrer dans l’OTAN”… Non, je pense que c’est absolument impensable. En plus, vous avez dit qu’un éventuel

président Trump “se débarrasserait” de l’Ukraine pour se concentrer sur la Chine. De quoi il se débarrasse, en fait ? Il se débarrasse de la loi, de la loi internationale.

Il y a des centaines de milliers d’Ukrainiens qui sont morts parce que le président Poutine a choisi d’envahir un voisin dont la Russie avait reconnu les frontières en 1994. C’est quelque chose de très grave

qui concerne notre démocratie. Ce n’est pas un truc qu’on peut abandonner comme ça. Si on l’abandonne, je pense que c’est grave. Je pense que ça va être grave pour l’Europe.

-C’est certainement très grave, vous avez tout à fait raison, mais est-ce que vous pensez, pour répondre à la question posée, est-ce que vous pensez qu’une fois que Trump serait élu – je mets le conditionnel –

une fois élu, vous pensez que l’Europe se réunifierait davantage, se renforcerait ? C’est l’inverse. C’est tout à fait l’inverse. C’est-à-dire que chacun des pays qui constituent l’Europe n’aurait qu’une seule ambition,

c’est de se retrouver dans une situation plutôt favorable avec Trump. Au fond, Trump pourrait jouer sur la division des Européens sans aucune difficulté. Je le crois. -Armand Laferrère ? -Je veux simplement dire

à Roger que, bien sûr, bien sûr, c’est grave. C’est monstrueux, même, ce qui se passe en Ukraine. Le problème, c’est que les réalités militaires l’emportent toujours. Toujours. Soit, militairement,

on peut vaincre les Russes, soit on ne peut pas. Tout le reste s’ensuit. C’est… C’est peut-être comme ça que ça va se terminer. Ca ne sera pas moins grave, ça sera juste plus réel. -Je partage cet avis.

Effectivement, il y a la morale, il y a la justice, et un tel accord serait contraire à la morale, à la justice internationale. Ce qui compte, à l’international, c’est les rapports de force. -Justement,

parlons, et on va conclure cette émission sur les rapports de force. Actuellement, nous ne sommes pas en guerre froide, mais le monde est clivé. Vous avez, d’un côté, quoi qu’on dise,

il y a des puissances démocratiques occidentales d’un côté, il y a ce qui s’est constitué, ce qu’on appelle ce Sud global, qui agrège un peu tout, de la Russie à la Chine, mais également l’Iran, l’Afrique du Sud, etc.

Est-ce que vous croyez que l’élection d’un Trump, hypothétique, car il n’est pas élu, à l’heure qu’il est, est-ce que ça va… Dans quel sens il irait ? Il essaierait de brouiller cette chose-là,

ou il se retrouverait dans le camp, disons, démocratique et occidental ? -Le problème, c’est que les Etats-Unis ont souffert de l’attaque contre le Capitole. Ce n’est plus une démocratie exemplaire non plus.

-Quand on y va, c’est un pays démocratique. -Bien sûr, mais avec un président qui a un comportement qui ne l’est pas. En tout cas, ça affaiblit

le message démocratique. Il y a 30 démocraties dans le monde, ou 32. C’est en diminution, ce n’est pas en augmentation. Je pense qu’en fait, il s’appuiera… Quand il aura besoin du soutien

de tel ou tel pays dans le monde, que ce soit le Japon, la Corée, contre la Chine, il s’appuiera dessus. Ensuite, la relation est spéciale avec Poutine. Il n’y a pas de kompromat.

S’il y avait eu un kompromat, les liens ne se seraient pas autant dégradés, à l’époque de Trump, avec la Russie, non pas de son fait, mais du fait de son administration, du fait,

également, du Congrès, qui avait fait adopter des lois pour éviter que Trump ne puisse lever les sanctions. La différence, cette fois-ci, c’est qu’il aura une administration acquise. Ce n’est plus un débutant.

Il a déjà choisi, aussi bien sur le plan militaire que civil, ceux qui l’accompagneront s’il gagne les élections. -On n’a plus de temps, mais sur ce point-là, en deux mots, est-ce que vous diriez qu’une élection

hypothétique de Trump ferait progresser le mouvement actuel d’affaiblissement de la démocratie ? Le mot de la fin ? -En soi, je pense que oui, ce n’est pas un bon signe pour la démocratie,

pour les raisons dont j’ai déjà parlé. Ceci dit, je pense qu’on a prévu combien de fois, depuis 50 ans, le déclin des Etats-Unis ? Parier contre les Etats-Unis, c’est toujours dangereux,

parce que c’est une société extrêmement dynamique, avec une capacité de se renouveler qui n’existe pas ailleurs dans le monde. Il n’y a pas de file de millions de gens

qui veulent entrer dans la Chine ou la Russie. Il y en a dans l’Amérique pour une raison. -Ils veulent sortir. -Ca vient contredire, Roger, votre projet pessimiste que Trump pourrait fasciser l’Amérique.

-Déjà, il n’est pas élu. -Déjà, il n’est pas élu. -Les deux peuvent exister ensemble. -Il y a des éléments démocratiques aux Etats-Unis à l’intérieur de chacun des Etats et même dans l’ensemble des Etats-Unis.

Je crois que Roger Cohen ne me démentira pas si je dis que, tout compte fait, les Etats-Unis, c’est quand même encore un modèle démocratique. -Bien sûr. -Autrement dit,

ce n’est pas parce que Trump serait élu que ce modèle démocratique disparaîtrait complètement. Il serait peut-être affaibli pendant quelque temps, pendant quatre ans ou même moins, mais, en tout état de cause,

il y a des éléments fondamentaux qui font que, depuis que les Etats-Unis existent, depuis plus de 200 ans, c’est quand même l’un des grands modèles de notre démocratie. -Merci. Le temps imparti est écoulé.

Avant de nous quitter, je voudrais vous présenter une bibliographie. André Kaspi, vous avez publié “La nation armée : les armes “au coeur de la culture américaine”. Vous signez pareil aujourd’hui, ça reste,

vous venez de le dire, le pays reste démocratique, nonobstant ses éruptions populistes. -Je ne change pas d’avis. -Vous ne changez pas d’avis. Sylvie Bermann, vous avez publié “Madame l’ambassadeur : de Pékin à Moscou.”

Voilà. Vous restez toujours intéressée par cette dialectique asiatique ou vous vous intéressez maintenant plutôt à l’Europe ? -Je m’intéresse à la géopolitique mondiale, donc évidemment à la Chine. J’étais à l’institut Jacques Delors.

On a publié un rapport sur les relations entre l’UE et la Chine. -Merci. Armand Laferrère, vous préparez la publication d’un livre sur votre séjour aux Etats-Unis ? -Non,

mon dernier livre était sur les Juifs, le prochain aussi. -D’accord. Roger Cohen, vous avez publié, il n’est pas traduit en France, “An affirming flame : “meditations on life and politics”.

En somme, c’est l’intime et le politique qui se conjuguent. Vous pensez que ça joue ? L’intime joue un rôle important dans le politique ? -Ca a joué un rôle important dans moi.

Je ne sais pas si ça joue un rôle… -En quoi ? En quoi ça a joué un rôle important ? En deux mots ? -Je n’ai jamais trop cru,

je suis journaliste, on parle d’objectivité, mais l’objectivité, c’est quoi, à la fin ? Je veux dire, chacun porte sa propre sensibilité à ce qu’il ou elle écrit. Etre équilibré, essayer de comprendre

les deux côtés d’un conflit, oui, absolument, mais je pense que c’est quand le coeur et le cerveau se rencontrent qu’on a le plus grand journalisme. -Merci. Voilà, écoutez, merci, madame, merci, messieurs,

d’avoir participé brillamment à cette conversation. Merci à l’équipe de LCP qui permet sa réalisation. Avant de nous quitter, cette pensée un peu pessimiste de Robert Kagan, comme vous savez, qui est un politologue américain :

“Une dictature de Trump “est de plus en plus inévitable.” SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA

Donald Trump a perdu les élections de 2020 qui ont vu la victoire incontestable de Joe Biden, l’ancien Président considère qu’on lui a volé cette victoire et il a encouragé le comportement séditieux de ses supporters républicains, partis à l’assaut violent du Capitole un certain 6 janvier 2021. C’est cet homme qualifié par nombre d’observateurs de narcissique pathologique, vindicatif, complotiste, dictateur et dont le bilan politique à la présidence des Etats Unis de 2017 à 2020 a ajouté au chaos du monde, qui s’apprête, selon ses propres termes, à prendre sa revanche électorale. C’est cet homme inculpé pour des affaires sexuelles, des fraudes fiscales, des détournements de documents classifiés et autres chefs d’inculpation, qui se présente aux élections présidentielle du 4 novembre 2024 avec un pronostic favorable en vue de l’emporter sur le président sortant Joe Biden.
Malgré ses turpitudes, Donald Trump garde le soutien massif du parti républicain et aussi la sympathie d’une large fraction de la société américaine plus polarisée et clivée que jamais. Nous allons chercher à comprendre cette fascination / répulsion qu’il exerce sur les Américains (comme ailleurs), les menaces qu’il représenterait pour l’Europe s’il était élu en novembre prochain et à quoi ressemblerait un monde agité par les fantasmes trumpistes et l’autoritarisme des régimes russe et chinois.

Pour en parler Emile Malet reçoit :
Sylvie Bermann, ambassadrice de France
Roger Cohen, correspondant du New York Times à Paris
André Kaspi, historien, professeur des Universités
Armand Lafferrère, directeur des affaires publiques – ORANO

Présenté par Emile MALET
L’actualité dévoile chaque jour un monde qui s’agite, se déchire, s’attire, se confronte… Loin de l’enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l’actualité autrement… avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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21 Comments

  1. Des débatteurs intéressants, mais comme souvent un "animateur" qui s'écoute, avec des questions alambiquées , qui coupe les intervenants et qui rend ce débat pénible à suivre. Salut!

  2. Ce a toujours ete comme ce dans l'humanite: la verite c'est qu'en occident, la classe dirigeante et les marchands d'argent n'aiment pas voir un dirigeant qui dit la verite.

  3. La présentation à charge qui est faite de l’ancien président, Trump ne donne pas envie d’écouter la suite de l’émission…
    Votre introduction est partielle, exagérée et déformée.

  4. Trump ne fait pas plus peur que Macron ou Biden! Par contre il faut peur à la Macronie et à Biden carsous sa gouvernance, aucune guerre, ni inflation, ni crise Covid.
    Ne pas se laisser berner, ni manipuler par ceux qui veulent nous faire peur.

  5. Et si vous regardez Un peu le pedigre de Baden il est pire mais black rock est la pour noyé toutes les saloperies qu'il a fait avec son fils et consor votre débat ne donne même pas envie de vous regardez dès les premières paroles tellement votre propagande est énorme avant de vous intéresser à d'autres pays occupés vous du votre mais Trump il n'y a pas Eu de guerre

  6. Trump ne me fait pas peur! Trump est un américain qui RESTERA chez lui et ça , c'est excellent pour la sécurité du Monde! Maintenant, il vous faudra, vous français, calmer et virer votre petit napopoleon en culottes courtes!

  7. Vos invités parlent allègrement des pertes de mémoire de Biden mais que dire de Trump qui se mêle constamment les pinceaux lors de ses rallyes, confond Biden et Obama, Nancy Pelosi et Nikky Haley, décrit Erdogan comme le président de la Hongrie et ainsi de suite. N'oublions jamais qu'entre les deux candidats, celui qui est le plus affecté intellectuelement c'est bien Trump. Il faut écouter ce que je n'oserais même pas décrire comme des discours lors de ses rallyes mais plutôt comme des sessions de pur délire obssessionnel pour comprendre que cet homme n'est absolument pas sain d'esprit.

  8. il fait peur a la petite caste mediatiquo/politique qui vois ses plans mondialiste contrarié, a nous le peuple il ne fait pas peur, bien au contraire ca nous arrange ce gros cailloux dans vos chaussures c'est toujours ca de pris ! votre monde il pue on en veut pas !

  9. On donne trop d'importance a Trump . Et on en donne aussi trop a Poutine .
    C'est comme si on dit que Trump et Poutine dirige le monde ..Hei! Stop .
    Trump vas pas défendre Taiwan pcq quatre usines américaines sont en développements a grand cout de milliards de dollars pour devenir « indépendante » de tous pays au point de vu micro possesseur
    Trump vas se faire élire et changé a coup sur, la lois pour être élut a vie. Il vas corrompre les USA et détruire la démocratie. Et cela auras des effets partout sur la planète et surtout les plus pauvres.

  10. Vous parlez de produit populistes, donc vous considéré les électeurs comme des produits? Trump n' est pas le plus grand danger, vous êtes le plus grand danger! Vous considérez que ceux qui sont dangereux, sont ceux qui ne partagent pas vos opinions.Vous êtes digne d' hitler, staline, mussolini etc… Vous avez en commun avec ces dictateurs la pensée unique!!!!

  11. Je confirme par ce commentaire que je n'ai pas eu besoin d'aller chercher bien profond dans ce marécage, The Swamp en amerloque et "Drain The Swamp" qui est la formule que l'on peut attribuer à Trump. Preuve que ces "Ecolo-Bobo-Gauchos" (?) hors sol se permettent absolument tout sans complexe : "Quelle crapuleuse et caricaturale présentation de Trump ! C’est honteux de la part d’un prétendu journaliste qui ne sait même pas ne fut-ce que faire semblant d’être neutre dans sa présentation !"
    Je suis arrivé à 0:58 de cette vidéo et j'ai choisi de me barrer ! 🤮